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L’ART

DU

MENUISIER.


Par M. Roubo le fils, Compagnon Menuſier.


PREMIERE PARTIE



Sous le nom de Menuiſerie, on comprend tous les ouvrages faits en bois ſervant, tant à la commodité, qu’à la ſûreté & à la décoration des Appartements.

On distingue deux ſortes de Menuiſerie : celle à l’uſage des Bâtiments, que l’on nomme d’aſſemblage, & l’autre qui ſe fait de bois de différentes couleurs débités par feuilles très-minces que l’on applique sur la Menuiſerie ordinaire, ce qui s’appelle Menuiſerie de rapport, ou Marqueterie, ou enfin Ebéniſterie ; ces deux branches se ſubdivisent en plusieurs autres, comme je le dirai dans un inſtant.

Le détail de la Menuiſerie d’aſſemblage eſt d’une très-grande étendue, vû que c’est de celle-ci qu’émanent toutes les autres eſpeces, & que leurs principes ſont les mêmes dans le fond.

On la diviſe en deux parties, la Dormante, & la Mobile. Par Dormante on entend toutes les eſpeces de revêtiſſements propres aux Appartements, comme Lambris, Cloisons, Parquets, & tous autres ouvrages reſtants en place ; & par Menuiſerie Mobile, toutes ſortes de fermetures, comme les Portes & les Croiſées, & généralement tous les ouvrages ouvrants, ſervants à la commodité & à la ſûreté.

On nomme donc Menuiſerie l’Art de débiter, de dreſſer, de corroyer, d’aſſembler, d’orner de moulures, de coller & de polir les différentes eſpeces de bois : Art qui différe de la Charpenterie, en ce que les Menuiſiers n’employent que des bois ſecs & d’une médiocre épaiſſeur, leſquels ſont corroyés avec la varlope & le rabot ; au lieu que les Charpentiers n’emploient que des gros bois preſque toujours verts, charpentés ou équarris avec la coignée, & reparés ſeulement avec la beſaiguë.

[page 2.] Les Menuiſiers étoient autrefois appellés Huchers, du mot Huche, qui déſigne une eſpece de coffre de bois propre à pêtrir & à mettre le pain. On les a auſſi appellés Huiſſiers, à cause de l’ancien mot Huis, qui ſignifie la porte d’une chambre, lequel nom eſt encore reſté aux poteaux de Charpente ou de Menuiſerie qui ſervent de baies aux portes des Appartements de peu d’importance.

Les Menuiſiers ont conſervé les différents noms dont je viens de parler juſqu’à la fin du quatorzième ſiécle, qu’un Arrêt rendu le 4 Septembre 1382, en augmentant les Statuts de cette Communauté, ordonna qu’à l’avenir on les appelleroit Menuiſiers, du mot Minutarius ou Minutiarius, ce qui ſignifie un ouvrier qui travaille à de menus ouvrages.

Les Menuiſier étoient autrefois dépendants du Maître Charpentier du Roi ; on ne ſait pas combien a duré cette Jurisdiction ; mais ce qui eſt certain, c’est qu’il leur fut donné des Statuts au mois de Décembre de l’année 1290, par le ſieur Charles de Montigny, Garde de la Prévôté. (1)

Depuis ce temps on leur donna encore d’autres Réglements, où l’on confirma les anciens. Le dernier de ces Réglements eſt du mois d’Août 1645.

Quoique la Menuiſerie ſoit très-ancienne en France, il eſt certain qu’elle n’a commencé d’être ſuſceptible de la beauté & de l’élégance que l’on y remarque, que depuis le Régne de Louis XIII. On ne ſauroit cependant nier que celui de François I. ne ſoit l’époque de la naiſſance des beaux Arts dans ce Royaume ; mais les temps malheureux qui ont ſuivi ce Regne, en ont arrêté le progrès juſqu’à la fin du Regne de Louis XIII, ainſi que je l’ai déja dit, où les temps devenant plus tranquilles, ont donné aux ouvriers le loiſir de s’appliquer à faire uſage de leurs talents, pour perfectionner leur Art.

Le nombre des Menuiſiers venant à s’augmenter, ainſi que leur induſtrie, relativement aux différents beſoins, les a obligés de ſe ſéparer, non-ſeulement en deux Corps, (quoique réunis dans une ſeule & même Communauté), qui ſont les Menuiſiers d’Aſſemblage & les Ebéniſtes, mais encore les premiers se diviſerent en Menuiſiers d’Aſſemblage ou de Bâtiments, & Menuiſiers en Carroſſes leſquels ne font que des caiſſes de Voitures, comme les Berlines, les Vis-à-vis, les Cabriolets, &c ; & les ſeconds en Menuiſiers Ebéniſtes, ou de Marqueterie & en Menuiſiers en Meubles d’Aſſemblage, tels que ſont les Armoires, les Commodes, les Secrétaires, &c. Il y a encore des Menuiſiers en Meubles, qui ne font que des Chaiſes, des Canapés, des Bois de lits avec leurs Pavillons de toutes eſpeces, leſquels font un Corps à part, & demeurent preſque tous dans un quartier de Paris appellé la Ville-neuve.

En général, les Menuiſiers ſont tous obligés d’apprendre le Deſſein, chacun relativement à la partie qu’ils embraſſent, pour la traiter avec quelque ſuccès ; ceux de Bâtiments ſur-tout doivent non-ſeulement apprendre le Deſſein propre à leur Art, mais encore l’Ornement & l’Architecture, tant pour la décoration [page 3.] que pour la diſtribution, afin d’être plus à portée d’entrer dans les vues de celui qui préſide à l’ordonnance totale du Bâtiment ; la connoiſſance des Eléments de Géométrie pratique, leur eſt auſſi abſolument néceſſaire pour les accoutumer à mettre de l’ordre & de l’arrangement dans leurs ouvrages, & pour leur faciliter les moyens d’en accélérer la pratique par le ſecours d’une théorie fondée sur des principes invariables. (2)

Comme la plûpart des ouvriers n’ont ni le temps ni les commodités néceſſaires pour faire une étude complette & ſuivie des Eléments de Géométrie, j’ai cru ne pouvoir pas me diſpenſer de leur en donner ici quelques notions, leſquelles en leur donnant les lumieres & les ſecours néceſſaires, tant pour la coupe des Bois & l’art du Trait, que pour le Toiſé de leurs ouvrages, les diſpenſera d’une plus longue étude qu’ils ſeroient ſouvent dans l’impoſſibilité de faire.

Après les Eléments de Géométrie, je traiterai de la connoiſſance & du choix des bois, de ceux qui ſont propres à chaque eſpece de Menuiſerie, de la maniere de les débiter avec toute l’économie & la ſolidité poſſibles.

Enſuite je traiterai de l’art des Profils, & de la maniere de les tracer géométriquement ; des différents aſſemblages de la Menuiſerie. D’après ces connoiſſances générales, j’entrerai dans le détail des outils néceſſaires aux Menuiſiers, de leurs formes & uſages, & de la maniere de les faire & de ſ’en ſervir. Et, par une ſuite néceſſaire, ce détail entraînera après lui la maniere de corroyer & aſſembler les bois, en commençant d’abord par les choſes les plus ſimples dans la pratique, juſqu’à celles qui ſont les plus difficiles.

Je donnerai enſuite le détail de la Menuiſerie Mobile, tant pour ce qui regarde ſes rapports & uſages, que pour ce qui eſt relatif à ſes différentes formes, profils & aſſemblages ; ce qui fera le ſujet de cette premiere Partie.

Dans la ſeconde, je parlerai de la Menuiſerie Dormante : je ne négligerai aucun ſoin pour la détailler parfaitement & la rendre auſſi intéreſſante que la premiere. Cette ſeconde Partie contiendra auſſi le détail de la Menuiſerie des Eglises, qui comprend les Chœurs, les Chaires à prêcher, les Sacristies ou Tréſors, &c : je la terminerai enfin par un traité complet de l’Art du Trait proprement dit.

Dans la troiſiéme Partie, je parlerai de la Menuiſerie en Carroſſes, de l’Ebéniſterie, & de la Menuiſerie en Meubles de toutes eſpeces. Je joindrai à la fin de cette derniere Partie, un petit Dictionnaire ou Table alphabétique des termes propres à la Menuiſerie, afin que l’Ouvrage ſoit à la portée de tout le monde.






(1) Voy. le Dictionnaire des Arts & Métiers.

(2) J’ai fait moi-même l’heureuſe expérience de ce que j’avance ici, ayant été ſecondé & même prévenu par les bontés de M. Blondel, Architecte du Roi, Profeſſeur de l’Académie d’Architecture, lequel a bien voulu, pendant près de cinq années, me procurer toutes les lumieres néceſſaires ; ce qu’il a fait avec toute la généroſité poſſible, ma grande jeuneſſe dans ce temps, & mon état de ſimple ouvrier, me mettant dans l’impoſſibilité de payer des Maîtres.










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