De l’entendement et de la dextérité :
L’Art du Menuisier d’André-Jacob Roubo

Sur la menuiserie intérieure et l’ébénisterie au xviiie siècle.


© Herman den Otter.





Le traité du xviiie siècle intitulé L’Art du Menuisier (Paris, 1769-1775) est largement considéré comme la source d’informations la plus riche sur la fabrication des boiseries et des meubles d’intérieur. L’ouvrage se voulait une description globale du métier de menuisier, comptant 1316 pages de texte et 382 planches. La corporation des menuisiers était composée de menuisiers d’intérieur, de carrossiers, d’ébénistes et de treillageurs. L’Art du Menuisier donne une description du métier de chacun d’eux.

Le livre n’est pas seulement volumineux mais a été édité de la manière la plus somptueuse ; on peut dire, sans exagération, que les planches sont d’une qualité supérieure à celles de l’Encyclopédie de Diderot. L’ouvrage est devenu une sorte de Bible dans le métier, reflétant l’ambition de chaque menuisier. Jusqu’en 1930, il a été augmenté et réédité à plusieurs reprises, pour être utilisé dans la pratique professionnelle contemporaine. Il n’est pas devenu obsolète grâce à la forte tradition de la menuiserie française, elle-même issue de son glorieux xviiie siècle. Il semble probable que les normes élevées de l’œuvre originale et le fait qu’une grande partie de son contenu ait fait ses preuves au cours d’un siècle et demi, ont poussé les éditeurs à s’en tenir au moins au titre original, aidés sans doute par le caractère inspirant de l’auteur, André-Jacob Roubo. Mes recherches ne portent cependant pas sur les nombreuses éditions ultérieures, mais plutôt sur l’édition originale, en raison de son rôle essentiel dans les recherches d’après-guerre sur les modes de production historiques de la menuiserie intérieure et de l’ébénisterie en général, et du mobilier français du xviiie siècle en particulier.

Bien que L’Art du Menuisier ait fourni des informations historiques à des centaines de publications, il est curieux que ni l’ouvrage lui-même, ni son auteur, n’aient jamais fait l’objet d’investigations scientifiques sérieuses : en d’autres termes, cette « première source historique » a été citée à maintes reprises sans que son essence, son contexte ou sa fiabilité ne soient jamais examinés. Ne pas connaître ses origines et ses intentions peut cependant conduire à une interprétation erronée de certaines informations qu’il contient. Les citations de L’Art du Menuisier sont extraites d’un nombre relativement limité de paragraphes, généralement sans égard à la structure et aux liens internes à l’ouvrage. Cela suggère que les chercheurs qui utilisent L’Art du Menuisier comme une mine de données factuelles, ont peu de connaissance de l’ensemble. En outre, il est clair que les planches sont fréquemment utilisées sans prêter un début d’attention, voire pas du tout, au texte qui les accompagne. Ne pas être conscient du fait que certaines planches illustrent des méthodes à éviter, implique que l’on puisse tirer des conclusions inappropriées.

Cette étude vise à analyser la structure et le contenu de L’Art du Menuisier et à enquêter sur le contexte dans lequel il a vu le jour. L’œuvre s’avérera-t-elle aussi essentielle à notre connaissance et à notre interprétation des boiseries et des meubles d’intérieur qu’elle est généralement censée l’être ? Avec la réponse à cette première question à l’esprit, il convient de déterminer quel rôle particulier L’Art du Menuisier doit jouer dans les approches modernes de la conservation et de la restauration.



Le contexte.

Même un premier bref aperçu du contexte historique dans lequel L’Art du Menuisier a été produit, s’avère étonnamment enrichissant et intéressant. L’auteur que nous rencontrons n’est pas un menuisier moyen qui entendait consigner son expérience et sa connaissance de son métier au profit de ses confrères ou de la postérité. L’auteur, André-Jacob Roubo, a en effet débuté comme apprenti-menuisier, mais avec l’appui de plusieurs protecteurs haut placés, il a réussi à devenir entrepreneur et, surtout dans le contexte étudié ici, un homme de lettres et un dessinateur hors pair. Les Lumières du milieu du xviiie siècle ont fourni un environnement dans lequel ses talents et son ambition pouvaient porter leurs fruits. Un de ses protecteurs, le duc De Chaulnes, l’introduisit à l’Académie Royale des Sciences, ayant sans doute à l’esprit que Roubo devait contribuer à la Description des Arts et Métiers, la description de tous les métiers et industries sur lesquels l’Académie s’était engagée depuis 1761. L’idée de rassembler et de publier toutes les connaissances existantes au sein des professions, a été développée pour la première fois par Francis Bacon vers 1600. Colbert a chargé l’Académie de ce projet en 1675 et plusieurs académiciens, Réaumur en particulier, a rassemblé une grande quantité de matériel pour cela, sans toutefois rien publier. L’incitation à le faire est venue de la publication par Diderot du premier volume de son Encyclopédie en 1751. Le projet de la Description est de caractère technologique plutôt qu’encyclopédique et ne visait pas, comme l’Encyclopédie, au grand public des lecteurs du xviiie siècle, mais aux artistes du premier ordre. Le projet visait à faire des descriptions de tous les métiers et industries en France et à les amener à un niveau supérieur en les enrichissant avec des connaissances et des idées issues à la fois de la science et de la fertilisation croisée par d’autres métiers et industries. Les objectifs étaient d’accroître la prospérité et de donner aux industries les moyens de concurrencer, en premier lieu, l’Angleterre. L’invention et le déploiement de nouvelles machines et la rationalisation des méthodes de production étaient considérés comme des moyens d’atteindre ces objectifs. Des machines telles que les presses à imprimer et les machines à filer avaient permis d’importants progrès et on s’attendait donc à ce que les machines apportent de grands bénéfices partout où l’homme trouvait des moyens de les utiliser. La publication de la Description des Arts et Métiers se veut un stimulant privilégié de la rationalisation des techniques de production. Aux yeux des savants éclairés, de nombreux métiers ne montraient aucune velléité d’innovation technique, bien calés qu’ils étaient derrière les privilèges que leur accordaient les corporations. Le savoir-faire professionnel a été transmis à la génération suivante sans ambition, inventivité ni sens du progrès. L’Académie (et au sens large les Lumières en général) entendait contrer cette attitude par l’ouverture, l’innovation et un professionnalisme plus poussé.

Les traités qui, ensemble, composent la Description, varient considérablement en étendue, mais tous sont disposés selon les mêmes directives, décrivant les processus de fabrication dans n’importe quel commerce ou industrie : les matériaux et leurs propriétés, les outils et les machines, les méthodes de production et les produits finis. La série couvre un large éventail d’activités, de la fabrication de pipes pour fumer à la construction navale. La publication de livres pris en exemple par l’Académie avait commencé dès le xvie siècle. Le De re metallica d’Agricola sur l’exploitation minière, en particulier, a fourni des principes généraux pour l’ordre des sujets, l’utilisation d’un langage approprié et d’illustrations (en fait, même une grande partie de son contenu était encore utile). Les traités techniques en tant que tels avaient donc une longue lignée, à laquelle Roubo devait adhérer aux conventions. D’une manière générale, ces traités s’adressaient à un lectorat d’investisseurs et de managers, sans toutefois négliger une grande attention portée aux détails des méthodes de production. Pour remplir sa fonction, un traité devait être complet jusque dans les moindres détails et contenir tant d’informations que tout homme émigrant au Canada avec un exemplaire de L’Art du Menuisier dans sa malle, se trouverait en mesure, dès son arrivée, d’établir un atelier de menuiserie de tout premier ordre.

La menuiserie et les techniques des menuisiers sont décrites dans bon nombre de sources historiques antérieures à 1769, année de publication de la première partie de L’Art du Menuisier. Rien de tout cela ne fournit quoi que ce soit qui ressemble à un traitement complet et systématique du sujet. Certains aspects techniques de la menuiserie ne se trouvent que dans l’Encyclopédie et une poignée d’ouvrages d’architecture. Une des personnes les plus importantes à cet égard fut l’architecte, éducateur, et théoricien de l’architecture, Jacques-François Blondel. Il avait un intérêt marqué pour les aspects techniques de la construction et les caractéristiques de la menuiserie sont présents dans plusieurs de ses écrits et dessins. Roubo est venu dans son École des Arts pour être un élève.

Avant que Roubo ne prenne la plume, rien de ce qui avait été publié sur la menuiserie n’avait été écrit par un menuisier pratiquant. L’acte d’écrire, en effet, semble être considéré par les menuisiers comme quelque chose de complètement étranger. Après Roubo, tout ce qui était publié sur l’ébénisterie ou la menuiserie intérieure était compilé par des rédacteurs techniques qui écrivaient avec la même aisance sur les moteurs à vapeur ou la gutta-percha. Les livres des menuisiers en exercice sur leur métier ne se sont multipliés que depuis quelques décennies, probablement du fait d’un afflux dans l’ébénisterie, et plus particulièrement dans la restauration de meubles, de personnes à haut niveau d’instruction pour lesquelles prévaut un sentiment d’épanouissement sur les rendements économiques.



Contenu de L’Art du Menuisier.

En cherchant dans L’Art du Menuisier ébéniste de Roubo des informations sur les techniques utilisées dans la fabrication de beaux meubles (Troisième Section de la Troisième Partie de L’Art du Menuisier), le lecteur trouve beaucoup sur les essences de bois exotiques, les colorants, et un certain nombre de techniques de marqueterie ; mais très peu sur les joints de bois, l’utilisation de la colle ou la manière de faire au regard des structures de bâtis. Cela tient au fait que Roubo ne traite qu’une seule fois chaque technique d’ébénisterie, il est impossible de décrire toutes les étapes de fabrication de chacun des nombreux types d’objets que créent les menuisiers. Ainsi, la Première Partie (sur les fenêtres, les portes, &c.) traite-t-elle des joints et des colles de menuiserie, mais, par implication, aussi du gros œuvre ; car dans la perception de Roubo, tout type de menuiserie, qu’il s’agisse d’une chaise, d’un lit d’apparat ou d’un carrosse, est essentiellement un assemblage de brancards, de rails et de panneaux. L’Art du Menuisier ne propose pas de descriptions narratives de chaque étape consécutive de la réalisation d’un projet, mais il sépare toutes les techniques, les range dans une grammaire avec laquelle tout type d’objet peut être composé. Diviser L’Art du Menuisier de cette manière systématique ne donne pas au lecteur une image de la pratique réelle de l’atelier, mais tend à rester plutôt abstrait. Roubo ne s’aventurera pas hors du domaine de la guilde des menuisiers. Cela restreint notre image globale, car les professionnels d’un grand nombre de métiers, du métallier au tapissier, contribuent à la fabrication des menuiseries et des meubles d’intérieur. Roubo incite le menuisier à se renseigner sur les métiers avec lesquels il coopère, mais évite les conflits de compétences. Car la ferronnerie, la sellerie et bien d’autres métiers feront l’objet de futures publications de la Description des Arts et Métiers.

L’Académie a demandé à ses auteurs de décrire les meilleures pratiques de chaque métier ou industrie, et de perfectionner autant que possible les méthodes de travail existantes. Les pratiques d’atelier que nous rencontrons dans L’Art du Menuisier peuvent donc difficilement être considérées comme celles d’un menuisier moyen. Roubo a fixé des normes élevées et n’a pas hésité à être cinglant sur le travail incompétent. Son texte contient des dizaines de suggestions pour améliorer les techniques. Ce qui est visé, ce sont presque toujours des améliorations de la qualité des produits, et non des moyens plus efficaces ou plus rapides de les fabriquer. La qualité du travail des menuisiers dépendait en grande partie de la compétence du menuisier lui-même. Le développement des machines à bois devait attendre les développements de la technologie des métaux et ne serait pas là avant cinquante ans. Dans le métier de Roubo, la perfection ne devait donc pas être atteinte par le déploiement de machines. Les quelques machines que Roubo a présentées étaient d’ailleurs soit presque inutilisables, soit, paradoxalement, obsolètes.

Au total, il apparaît que L’Art du Menuisier évoque une image de la fabrication de meubles et de menuiseries d’intérieur pour une clientèle d’élite restreinte, très éloignée de la pratique courante des ateliers parisiens vers 1770. Dans certains cas, ce n’est même pas tout à fait clair s’il décrit des méthodes existantes ou une de ses perfections idéalisées. Roubo était lui-même actif dans la menuiserie en bâtiment (fabrication de fenêtres, de portes, de parquets et de toutes sortes de menuiseries domestiques et d’église) à laquelle il consacre la Première et la Seconde Partie de L’Art du Menuisier. La carrosserie, la fabrication de chaises et les meubles plaqués constituent, ensemble, la Troisième Partie ; la Quatrième Partie concerne les treillages et l’architecture des jardins. Il y a probablement plusieurs causes à ce manque d’équilibre évident dont témoigne cet arrangement. Les deux livres sur la menuiserie en bâtiment se sont avérés beaucoup plus volumineux que prévu à l’origine, ce qui a entraîné la compression des trois autres branches de la menuiserie en un seul livre. La Quatrième Partie a dû être ajouté lorsque les treillageurs ont été reconnus comme une branche distincte au sein de la guilde des menuisiers en 1769.

Comme on pouvait s’y attendre, les deux premières Parties font ressortir de la manière la plus convaincante l’expertise de Roubo dans l’art de la menuiserie. Il était hautement qualifié et expérimenté dans la menuiserie d’église, un domaine d’expertise où la qualité passe avant le coût. Outre les questions techniques relatives à la menuiserie intérieure, Roubo consacre une large place aux questions de théorie du dessin et aux nombreuses règles pratiques qui en découlent (comme il le fait aussi dans la Quatrième Partie sur les treillages). Au cours du xviiie siècle, l’architecture d’intérieur est devenue une profession indépendante et mature. Il ressort des pages de L’Art du Menuisier que l’architecte ou le décorateur obtient de plus en plus de commandes haut de gamme, aux dépens du menuisier. Ce n’est que tant qu’il aura à portée de main les règles de l’architecture d’intérieur ― d’autant plus avec l’avènement du néo-classicisme ― qu’il parviendra à tenir bon à cet égard.

Roubo était redevable à ses collègues pour son expertise dans d’autres branches de la menuiserie. Ce qu’il écrit à ce sujet est sans aucun doute adéquat et correct, mais le lecteur passe, en quelque sorte, à côté de l’expérience pratique qui émane des deux premières Parties. Pour autant, Roubo n’hésite pas à conseiller les carrossiers, les fabricants de chaises ou les ébénistes sur les meilleures façons d’effectuer leur travail.

Comme exemple de la méthode adoptée par Roubo pour traiter chacune des branches du métier, je donnerai un bref aperçu de la Seconde Section de la Troisième Partie, sur la fabrication des sièges, des lits et des tables. Il s’ouvre sur une description des essences de bois appropriées et des outils particuliers à la fabrication de chaises. Roubo continue avec une histoire concise des meubles de siège du passé. Une description des formes antiques antérieures indique comment les objets se sont développés et établit le niveau qui a été atteint dans le présent. Des étiologies comme celle-ci sont un ingrédient standard des traités de la Description des Arts et Métiers et de bien d’autres livres techniques du xviiie siècle. L’espace ne permettant pas de traiter convenablement tous les types de mobilier de siège, Roubo en distingue deux types dont il aborde tous les aspects, à l’exclusion des techniques qu’il a déjà traitées dans les Première et Seconde Partie et dans la Première Section de la Troisième Partie. Il donne des détails de construction, des mesures, et une vue d’ensemble de la Chaise à la Reine, type de chaise à dossier plat et sans accoudoirs, expliquant les nombreux choix à faire. La traverse supérieure du dossier, par exemple, ne doit pas être trop haute sous peine de gâcher la coiffure, non seulement des femmes mais aussi des hommes. Il est expliqué en détail comment les courbes rococos de cette chaise peuvent être dessinées avec une précision géométrique à l’aide de compas. Roubo mentionne que les fabricants de chaises n’effectuent guère plus de travail du bois que de découper les pièces et de les assembler avec des assemblages à tenon et mortaise. Toute la décoration est réalisée par des sculpteurs sur bois. Le produit final laisse beaucoup à désirer. Les sarcasmes de Roubo face au travail de qualité inférieure sont un thème récurrent dans les chapitres sur la fabrication de chaises ; il reconnaît cependant que le problème est causé par le fait que les marchands paient trop peu les fabricants de chaises pour leur travail. Une technique particulière aux chaises, est le cannage. Roubo discute des propriétés des matériaux, des outils nécessaires et de la séquence d’application de la canne. Une difficulté particulière se pose lors du cannage des sièges et des dossiers aux contours rococos, car l’espacement entre les différents brins de cannage doit être déterminé géométriquement. La description de la deuxième chaise, un fauteuil en cabriolet, un type de chaise avec accoudoirs et dossier complexe et concave, contient à nouveau une exposition de la géométrie nécessaire pour dessiner des formes tridimensionnelles. Après avoir discuté de ces deux types de chaises standard, Roubo donne quelques exemples pour leur décoration. Les changements constants qui se produisent dans la conception des chaises ne sont apparemment pas à son goût, ce qui semble nous dire quelque chose sur son caractère. Mais même s’il estime que, dans la plupart des cas, la décoration est assez arbitraire, il inclut des exemples de nombreux types de meubles. La sculpture n’est mentionnée qu’en passant, car c’est le domaine du sculpteur et non celui du fabricant de chaises.

Une place d’autant plus grande est accordée à la stéréotomie, une technique de dessin qui permet de représenter sur une surface plane comme le papier des formes tridimensionnelles telles que les dossiers courbes des chaises. La seconde moitié de la Seconde Partie de L’Art du Menuisier constitue un traité à part entière de 180 pages et 60 planches sur la stéréotomie. Cette méthode de dessin avancée n’a pas été apprise à l’atelier mais dans les écoles de dessin. En étant compétent, on est capable de dessiner des objets tridimensionnels avec le plus de précision. Cela conduit non seulement à une utilisation plus économique du bois dans la phase de production, mais cela met également le menuisier dans une position où il peut fabriquer des conceptions entièrement nouvelles. C’était une technique de dessin utilisée par les dessinateurs professionnels. On peut dire sans exagération que Roubo tente de l’imposer à ses compagnons. Dans L’Art du Menuisier sont rassemblées toutes les connaissances et compétences dont le menuisier a besoin pour fonctionner de manière autonome au lieu de se contenter de réaliser ce que les architectes et décorateurs conçoivent. De sa propre expérience, Roubo avait appris que les connaissances et l’expertise sont nécessaires pour éviter d’être dépendant des autres. Le livre qu’il publie en 1777 sur la construction des théâtres ne laisse aucun doute sur son ambition d’être architecte, objectif qu’il ne pourra, finalement, pas atteindre.

La théorie du dessin et la stéréotomie sont les deux sujets théoriques les plus développés par Roubo. Des domaines tels que la mécanique, la chimie et les propriétés physiques des matériaux sont traités de manière beaucoup plus succincte. De son point de vue, un menuisier ne devrait pas simplement pratiquer sans critique ce qu’il a appris de son maître, mais il doit s’habituer à prendre des décisions sur la base de sa connaissance des causes et des effets. Les traités de la série éditoriale inspirée par la Description des Arts et Métiers offrent, comme il se doit, un caractère normatif et présentent au lecteur une version idéalisée des méthodes de fabrication. Ceci est clairement observable dans L’Art du Menuisier. Le mobilier du xixe siècle montre que les niveaux de qualité de la menuiserie se sont nettement améliorés ; la question de savoir dans quelle mesure L’Art du Menuisier a contribué à ce phénomène sort du cadre de mes recherches ; cependant, on peut dire que le livre n’a pas eu beaucoup d’impact dans les cinquante premières années après sa publication. Ce n’est qu’en 1835 que la communauté professionnelle en montra une appréciation positive. Si l’on exclut André-Jacob Roubo lui-même, le Menuisier Éclairé n’a jamais vu le jour.

Mes recherches montrent que L’Art du Menuisier est une source technologique d’art très importante, rédigée par un auteur technique ayant une solide formation pratique en ébénisterie. L’ouvrage était destiné à donner à des menuisiers ayant un état d’esprit éclairé et réellement soucieux de leur profession, les moyens d’exercer leur métier de manière autonome et à un haut niveau. Son éditeur, l’Académie des Sciences, souhaite asseoir la menuiserie sur une base rationnelle solide, la stimuler techniquement et économiquement, et desserrer l’emprise corporative sur elle. L’Art du Menuisier ne brosse pas un tableau des pratiques de travail dans l’atelier du menuisier moyen mais s’intéresse avant tout aux bonnes pratiques. Il faut en tenir compte lors de l’utilisation des informations contenues dans L’Art du Menuisier qui peuvent aider à comprendre les aspects matériels et techniques du mobilier et des boiseries intérieures du xviiie siècle. Au-delà des explications techniques, claires, et élaborées, Roubo discute méticuleusement des questions théoriques de son métier. Toute interprétation des boiseries ou des meubles doit bien sûr, et avant tout, se baser sur les objets eux-mêmes ; mais L’Art du Menuisier offre de nombreuses informations qui ne peuvent être déduites des objets qui nous sont parvenus. Dans de nombreux cas, Roubo ajoute des informations précieuses à nos connaissances.

Quant à la question de savoir ce que L’Art du Menuisier a à offrir au restaurateur de meubles et de boiseries, j’en arrive à la conclusion suivante : L’Art du Menuisier ne propose aucune information sur des pièces historiques connues. Sur les techniques de restauration proprement dites, L’Art du Menuisier ne contient rien qui puisse être appliqué, si ce n’est dans le cas d’une reproduction historiquement informée de pièces manquantes. Ce que le restaurateur peut apprendre de L’Art du Menuisier concernant les matériaux, les techniques et la construction peut être utile pour analyser les boiseries et les meubles dans un sens plus général. Indépendamment des informations strictement matérielles, il ressort des textes de Roubo ce que les menuisiers visaient à réaliser en tant qu’artistes et entrepreneurs, et quelles étaient les possibilités et les limites avec lesquelles ils devaient compter. L’Art du Menuisier a un rôle à jouer dans la recherche préalable aux travaux de restauration, en répondant aux questions sur les méthodes de fabrication historiques. C’est notamment le cas si l’objet considéré provient d’un milieu parisien du xviiie siècle. Utilisé avec prudence donc, l’œuvre de Roubo peut être consultée pour résoudre des questions autour d’objets d’autres époques et d’autres lieux.





Traduction, depuis la version anglaise du résumé : S.M.C.J.





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